Benn et son double

Elmer et moi c'est Benn et nous :

l'éternelle histoire humaine: comment réussir sa carrière, sa vie?

ANDRE BENN, Bruxellois bon accent, a la BD raffinée, les ambiances subtiles et le suspense bien en main. Déjà, avec le scénariste Desberg il avait réussi un excellent Mic Mac Adam, enquêtes en kilt, actions à rebondissements.

Nous aimions le sujet polar, nous n'avons pas continué car Dupuis ne publiait pas les albums. Cela sortait un peu des sentiers battus. Avant cela, j'avais fait des mini-récits pour Dupuis, un peu de Schtroumpfs, un album pour Tibet, un pour Berck. Pendant près de huit ans, j'ai fait une planche à gags chez Lombard. A l'époque c'était de la BD pour 6  à 12 ans, 14 maximum.

Après Mic Mac Adam, je suis passé aux éditions Glénat où j'ai fait "M. Cauchemar", une adaptation d'un roman de Siniac. J'ai voulu travailler moi- même le scénario et le faire en un seul volume.

Tout tourne autour des livres dans cet album ?

Tout gosse j'allais chiner dans les librairies, je mangeais ma soupe avec mon David Copperfield... C'est ce que j'ai voulu dépeindre dans "M. Cauchemar". C'est un album charnière.

J'avais un roman sur lequel m'appuyer et parfaire mon dessin. Je suis entré dans un monde féminin que je n'avais pas fait auparavant.

Il me fallait donc maîtriser cela : dessiner des femmes, pas nécessairement jolies. "Elmer et moi", c'est le plus agréable. J'avais envie d'écrire un scénario tout seul.

Tous les éléments sont en place dans le premier album. C'est frustrant pour le lecteur qui attend l'aventure...

Mais plus facile pour l'auteur. En réalité, j'ai écrit un roman adapté en cinq volumes. Il est découpé comme un scénario de film, en séquences selon l'évolution psychologique du personnage. Ce n'est pas de l'aventure à rebondissements. Je suis un dessinateur d'ambiance : c'est la comédie de la vie mais aussi l'envers du décor du monde artistique. Les deux ensemble.

C'est aussi un roman sur l'ambition ?

Mon personnage a envie de réussir sa vie et sa carrière. Parviendra-t-il à réussir les deux ?

On dirait que l'histoire peut virer vers le fantastique, vers l'horreur. Chacun peut inventer la suite.

Il n'est pas question que cela vire au fantastique... Vous verrez, le tome 2 n'aura pas le côté frustrant du premier. Il y aura une fin d'une partie de la vie de Nigel et Kate. Rendez-vous dans un an !

Un personnage et son double, Benn et son double ?

Je suis heureux d'avoir trouvé l'idée d'un personnage avec marionnette car il peut dire des choses qui ne seraient pas acceptées sans masque. Grâce à Elmer, c'est incrovable ce qu'il y a moyen de faire passer... C'est Dr Jekill et Mister Hyde, c'est le personnage double.

J'ai découvert Elmer dans une vitrine. J'ai essayé d'acheter la poupée, cela me fut refusé, comme je l'ai décrit dans l'histoire. Alors, je l'ai fait construire. Mais un ami l'a trouvée chez un brocanteur et l'a achetée pour moi. Je l'ai donc en double !

Vous aimez un univers de masque, théâtre, décor...

Les écrivains, les dramaturges dépeignent les situations de la vie, du drame au vaudeville. Il m'arrivait d'aller au théâtre quatre fois par semaine. Un peu de saturation, tout de même !

L'avant-garde m'a tué : quand j'ai vu des pièces avec quatre langues différentes, je n'ai plus compris.

En plus, il y a la danse, les récitals de musique classique.

Pourquoi avoir choisi l'époque d'avant-guerre ?

Je n'aime pas travailler sur notre époque actuelle. M. Cauchemar évolue dans les années 50. Ici, nous sommes en 37. C'est un travail encore plus ardu de recherche de documentation. J'en perds la notion de ce qui se passe autour de moi. J'en viens à ne plus reconnaître une voiture moderne... Actuellement, les objets sont horribles mais offrent plus de confort.

A l'époque, on faisait de belles choses, bien plus agréables à dessiner. J'ai en mon pouvoir une machine à remonter le temps.

Berlin ? J'avais envie de démarrer à Berlin. A cause de Berlolt Brecht, de Gottfried Benn. Grâce à eux, j'ai retrouvé le Berlin des années 30.

Et une certaine ambiance de décadence ?

On dit qu'il y a un côté un peu pervers dans mon dessin. Je veux du suspense et en même temps quelque chose de naïf et frais, même dans le drame, le sordide.

La naïveté existe, tout le monde l'est quelque peu.

Entretien : Gabrielle Lefèvre


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