Foire du Livre: Le Retour de Woogee

ANDRE BENN AIME HOLLYWOOD ET VOYAGE EN PANTOUFLES !

BRUXELLES- Regard malicieux, front dégarni, sourire en coin, André Benn n'appartient pas vraiment à cette catégorie d'auteurs de BD qui s'efforcent d'aligner les albums ou d'enchaîner les séances de dédicaces. Ce Bruxellois de 43 ans cultive, au contraire, la discrétion et se révèle plutôt méticuleux dès qu'il se penche sur sa planche à dessin. Le lecteur, d'ailleurs, ne s'y trompe pas et la seconde aventure de Woogee (La Cité des Anges) qui vient de paraître chez Dargaud est d'une qualité remarquable! Un graphisme élégant, des décors soignés aux petits oignons et une histoire truffée d'action, de suspense et de passion.

En résumé, de la belle ouvrage et un auteur comblé qui est venu faire un petit tour à la Foire du Livre avec son dernier-né sous les bras. Nous l'avons rencontré, mardi, peu avant qu'il ne se livre au rituel des dédicaces. Une bonne occasion pour évoquer ses oeuvres précédentes et Woogee, bien sûr, auquel il consacre, pour l'instant, toute son énergie.

Hommage à Hollywood    

"Le milieu, le contexte et l'époque qui cadrent avec les aventures de Woogee me fascinent depuis belle lurette, explique-t-il. Quand j'étais gosse, je fréquentais les cinémas de quartier. J'y ai vu pas mal de classiques et j'en ai conservé un merveilleux souvenir qui m'a poussé à rendre hommage au Hollywood de l'âge d'or. Bref, j'avais le décor, il me restait à trouver le personnage: c'est comme ça qu'est né Woogee!"

- Avez-vous fait le voyage jusque-là pour rassembler votre documentation?

- André Benn: "Cela vous surprendra peut-être, mais la réponse est non! A dire vrai, ce n'était pas tout à fait nécessaire: le paysage a complètement changé. Plus rien, là-bas, n'évoque le Hollywood d'autrefois. Pour retrouver des documents d'époque, je me suis tout simplement adressé à la cinémathèque et à la Bibliothèque royale, qui s'est notamment chargée de me procurer des livres et des photos venant en droite ligne des Etats-Unis. Je connais le nom et la disposition des rues par coeur sans m'y être jamais rendu. En somme, je me sens un peu dans la peau d'un voyageur en pantoufles !"

- Woogee sera-t-il le héros d'une longue série d'albums?

- A. Benn: "Je l'ignore! Moi, je me laisse guider par mon imagination. Tant que le personnage continuera à m'inspirer de nouvelles intrigues, je lui resterai fidèle. Si, à un moment, je ne parviens plus à le faire évoluer, je préfère mettre un terme à la série et me consacrer à autre chose. Cela dit, le scénario du numéro 3 est terminé et j'ai déjà quelques idées pour les deux tomes suivants..."

- Après Dupuis et Glénat, c'est chez Dargaud que vous publiez votre nouvelle série: pourquoi changez-vous aussi souvent d'éditeur?

- A. Benn: "Selon moi, pour lancer un nouveau projet, il faut d'abord qu'il y ait un mariage entre un auteur et son éditeur! Tout le monde doit être sur la même longueur d'onde. Avec Dupuis, par exemple, le divorce était inévitable: losque j'y étais encore, il y avait un esprit, un label Dupuis, dont il était inconcevable de vouloir s'écarter. A la limite, plusieurs auteurs étaient coulés dans le même moule. Moi-même, on m'a bien souvent reprocher d'imiter Wasterlain: un jugement un peu excessif selon moi, car, après tout, je ne faisais que m'inspirer de son trait comme d'autres font de la ligne claire. Quoi qu'il en soit, je souhaitais pouvoir évoluer et m'exprimer plus librement. Comme on ne me donnait pas carte blanche chez Dupuis, je suis allé voir ailleurs."

- Comment travaille un dessinateur lorsqu'il est aussi son propre scénariste?

- A. Benn: "Dans mon cas, je procède de deux manières différentes. Lorsque j'adapte un roman, comme ce fut le cas pour Monsieur Cauchemar, j'écris tout de A à Z. Les dialogues, la description des scènes, tous les détails figurent sur le papier avant d'esquisser le premier dessin. Par contre, pour Woogee, j'élabore à peine le synopsis et je complète ensuite les zones d'ombre en laissant libre cours à mon imagination, mon inspiration du moment."

- Vos projets immédiats?

- A. Benn: "Le prochain Woogee, tout simplement. Mais je ne suis pas du genre pressé: pour moi, un album est le fruit d'un travail consciencieux. Dargaud m'a proposé de m'adjoindre un scénariste ou un coloriste, pour me permettre d'avancer plus vite. J'ai refusé. Pour moi, un album, c'est l'aboutissement d'un travail strictement personnel."

Propos recueillis par Philippe Verheyden dans La Dernière Heure du vendredi 22 avril 1994.


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